Lu dans la presse dz.
Achat suspect de deux navires pour 40 millions d’euros
le 24.12.13 El Watan
La société Cnan- Méditerranée vient de décider de l’acquisition de deux navires pour 40 millions d’euros. Un prix douteux dans une transaction qui suscite beaucoup d’interrogations en raison de l’état des navires.
Il y a quelques jours, le conseil d’administration de CNAN-Méditerranée, filiale appartenant à 51% au groupe CNAN et à 49% à un Italien, s’est prononcé pour l’acquisition définitive de deux navires, le Vectis Isle, et le Vectis Castel, appelés «sister ship», auprès de l’armateur britannique Carisbrook, avec l’aide d’un courtier français, très introduit et depuis des années dans le milieu maritime algérien. Le montant de cette acquisition avoisine les 40 millions d’euros, un prix que de nombreux spécialistes du domaine maritime jugent excessif pour plusieurs raisons.
La première est liée à l’état de ces bateaux, dont l’expertise a révélé de «nombreuses anomalies» non seulement de «la qualité» de l’acier utilisé pour leur construction, mais de leur structure qui «ne répond pas aux exigences du cahier des charges».
En effet, si l’on se réfère à cette étude de plus d’une centaine de pages, le nombre de cabines installées dans ces deux navires est en deçà de celui exigé par la réglementation maritime algérienne. «Même si le ministère des Transports délivre des dérogations pour leur permettre de naviguer, cela se fera au détriment de la sécurité des membres de l’équipage», expliquent nos sources.
L’autre anomalie relevée par l’expertise est la faiblesse de la vitesse mais aussi d’autonomie en carburant. «La coque et la superstructure des bateaux sont prématurément envahies par la rouille, ce qui dénote une probable mauvaise qualité de l’acier (…). On met un temps assez long pour fermer les panneaux de cale, en raison de son système archaïque, totalement dépassé aujourd’hui», lit-on dans le rapport d’expertise, qui cite une vingtaine de points négatifs, pour à peine une dizaine positifs de ces navires, dont les photos sont assez révélatrices concernant leur état.
Pour bon nombre de nos interlocuteurs, les prix de ces bateaux sont «excessifs», pour preuve, disent-ils, la déclaration de la police d’assurance, effectuée par l’armateur au 1er juillet 2013, durant la période de la soumission des offres.
LES PRIX DU SIMPLE AU DOUBLE
Selon le document en notre possession, le montant déclaré par l’armateur avoisine les 9 millions d’euros (8 950 000). Pour nos sources, «la déclaration d’un navire neuf aux assurances est souvent surévaluée afin d’obtenir une plus-value en matière de remboursement en cas d’avarie ou autres dommages».
Abondant dans le même sens, d’autres sources affirment qu’«il y a à peine une année, les deux navires avaient été proposés à la vente pour un montant de 20 millions d’euros seulement», en précisant : «C’est vrai que les prix des navires fluctuent. Mais ils ne passent jamais du simple au double, parce que cette fluctuation ne dépasse jamais les 2 à 3% du prix.» Elles s’interrogent sur les raisons qui ont poussé CNAN-MED à opter pour de tels navires, alors qu’elle a plutôt besoin de ce qu’on appelle des navires-taxis, pour rallier les ports sud- méditerranéens.
Pour elles, «l’opportunité d’une telle acquisition reste troublante», parce qu’elle va «bénéficier» à un partenaire étranger «qui n’a pas respecté ses engagements», contenus dans le cahier des charges. «Lors de la cession des 41% des parts de cette filiale à l’Italien, ce dernier a mis un million d’euros, et s’est engagé à renouveler la flotte de la nouvelle entreprise, en achetant quatre navires, sur une période de cinq ans et d’apporter un savoir-faire. Ce délai est largement dépassé, alors que le partenaire n’a ni acheté les bateaux ni apporté une quelconque expertise, puisque ce sont les marins algériens qui y travaillent. Il ne fait que profiter des dividendes.
Pourquoi c’est l’Etat qui finance l’achat de navires en recourant à un crédit à taux bonifié, octroyé par les banques publiques, et non pas le partenaire étranger ?», soutiennent nos interlocuteurs.
LA DIRECTION DÉMENT
Des propos que ne partage pas le directeur général de CNAN-MED, M. Benzaoui. Contacté par nos soins, le responsable affirme que l’acquisition de ces navires «est passée par un avis d’appel d’offres et des négociations menées en toute transparence».
Il rejette toute «suspicion» quant aux prix de ces acquisitions en disant : «Il y a eu un cahier des charges des soumissions. La procédure a été respectée et la commission d’évaluation a donné son avis sur les offres en toute souveraineté.»
Ce dernier ne nie pas le fait que la valeur déclarée (aux assurances) des deux navires ne dépasse pas les 9 millions d’euros chacun.
Cependant il explique : «Cette valeur n’est pas révélatrice du prix réel. L’armateur est libre de déclarer aux assurances le montant qu’il veut.
Il peut surestimer comme il peut sous dévaluer. Pour nous, ce montant ne concerne que l’armateur et les assurances. Il n’entre pas en considération dans l’évaluation du prix réel du navire.»
Abordant la question des engagements non tenus du partenaire italien, M. Benzaoui, répond : «En tant qu’associé à hauteur de 49%, le partenaire participe au même titre que nous au remboursement du prêt sur une période de 10 ans.» Il reconnaît cependant que «les engagements contenus dans le cahier des charges de la filiale CNAN-MED ne sont pas encore concrétisés», sans toutefois en expliquer les raisons.